Gangrène de Fournier après traitement par AINS d’une "crise hémorroïdaire"

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Gangrène de Fournier après traitement par AINS d’une "crise hémorroïdaire"

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  • Un homme souffrant sur le lit de l'hôpital - La Prévention Médicale

L’importance de l’examen clinique n’est plus à rappeler. Ce dernier, associé à un interrogatoire précis du patient, doit permettre de définir la meilleure stratégie thérapeutique. Ce cas clinique montre que le seul traitement symptomatique peut avoir des conséquences dramatiques pour le patient et impacter durablement sa vie quotidienne.

Auteur : le Dr Christian Sicot - Président d'honneur de la Prévention Médicale - Ancien chef de service de Réanimation et de Médecine d'Urgences / MAJ : 17/06/2025

Cas clinique

Un homme jeune, artisan, était régulièrement suivi, depuis de nombreuses années, pour des hémorroïdes, (environ une crise par an). Le traitement associait des pommades anti hémorroïdaire et du Daflon®.

Il consulte son médecin traitant pour une nouvelle crise hémorroïdaire qui perdure depuis une semaine. Il a pris Daflon® et Doliprane® comme pour les autres crises. L’examen clinique objective une nouvelle crise, sans extériorisation. Le praticien préconise un nouveau traitement - Profenid® (100 mg suppositoire) 1 à 2 par jour, Transipeg® (laxatif) et Codoliprane® - et d’aller aux Urgences si pas d’amélioration rapide.

J2 : en raison de douleurs devenues insupportables, le patient consulte aux Urgences. Le médecin retrouve une crise hémorroïde interne, crise déclenchée par l’ingestion de piment 8 jours auparavant. L’examen du patient conclut à un bon état général, un tableau algique avec une cotation à 5/10, pas de fièvre, pas de rectorragie, pas d’hémorroïde externe, mais douleur interne, pas de fissure anale.

Au total : "Poussée hémorroïdaire, pas de critère de gravité, OK retour à domicile avec antalgiques, Biprofenid® LP 100 + Daflon®. Revoir médecin traitant selon évolution, revenir si aggravation. Prendre RDV avec le gastro-entérologue pour avis…".

À domicile, les douleurs persistent malgré le traitement.

J5 : le patient ressent "une vive douleur dans la fesse" qui va durer environ 5 minutes puis le tableau douloureux se calme pendant quelques heures avant de réapparaître.

J6 : au matin, ne supportant plus les douleurs, le patient revient aux urgences. L’examen clinique d’un autre médecin urgentiste retrouve : "Bon état général, algique, apyrétique. Abdomen souple indolore, sans défense ni contracture. Orifices herniaires et fosses lombaires libres. Volumineuse masse inflammatoire de la fesse gauche, marge anale OK, pelvis douloureux".
Hospitalisation et surveillance en Unité d’Hospitalisation de Courte Durée (UHCD).

La biologie objective un syndrome infectieux : GB à 21 570/mm3, CRP à 297,75 mg/L et procalcitonine à 1,43 ng/mL.

Le scanner trouve une "Collection abcédée… au niveau de l’espace graisseux rétro-rectal avec extension inflammatoire au niveau des fosses ischio-anales et infiltrat aérique périphérique majeur notamment le long du pli interfessier gauche. L’ensemble est compatible avec une gangrène de Fournier et un doute sur une fistule de la marge anale sous-jacente ne peut être éliminé…".

Le patient est transféré directement en chirurgie au CHU. À son arrivée, il est décrit comme "stable sur le plan hémodynamique, mais en sueurs, très algique, avec un placard inflammatoire de la fesse s'étendant jusqu’ au périnée, sans atteinte des testicules, avec crépitations", confirmant la gangrène de Fournier.

Devant ce constat, une indication de chirurgie en urgence est retenue pour parages des tissus nécrosés et colostomie de protection.

Il est conduit au bloc opératoire dans les 2 heures qui suivent son arrivée, où une colostomie de décharge sera réalisée ainsi qu’une exploration avec excision des tissus nécrosés. Au cours de l’intervention, nécessité d’un support adrénergique et administration d’une triple antibiothérapie probabiliste après prélèvements.

À la sortie du bloc, transfert en réanimation…

J8 : réintervention pour un "second look" sous AG avec de nouvelles excisions de zones nécrosées, notamment au niveau du sphincter anal "emportant une thrombose hémorroïdaire".

Les suites immédiates sont simples et le patient est transféré dans la journée en service de chirurgie digestive.

L’évolution est favorable sous morphinique compte tenu des douleurs. Sur les plans des pansements, une VAC Thérapie (pansement aspiratif) est instaurée au cours du séjour.

J16 : le retour à domicile est organisé en hospitalisation à domicile (HAD).

J53 : consultation postopératoire : "Bon état général… Quelques douleurs en position assise... Stomie bien productive sans complication majeure. Plaie propre bien bourgeonnante avec comblement complet de la cavité post parage. Arrêt de la VAC Thérapie. Pansement pour cicatrisation dirigée...".

J145 : Sortie de l’HAD après cicatrisation de la plaie.

Suites : nécessité d’un drainage chirurgical d’une fistule anale complexe en centre spécialisé en plusieurs étapes, soins qui dureront plusieurs mois. La fermeture de la colostomie est évoquée, mais non réalisée après plus d’un an et demi de soins…

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par le patient.

Expertise

Selon les experts :

"(…) Les soins et investigations n’ont pas été réalisés chez le patient, conformément aux règles de l’art par le médecin traitant et par le premier médecin urgentiste (…). 

Chez un homme avec des antécédents hémorroïdaires, la symptomatologie initiale et secondaire, notamment très douloureuse, (classée 5 puis 6) n’a conduit à aucun examen clinique avec au minimum un toucher rectal, à la recherche d’une complication hémorroïdaire : thrombose et /ou abcès de la marge de l’anus, complications classiques chez un patient présentant des antécédents hémorroïdaires connus (…)".

"(…) En cas de doute, il convenait donc de traiter la douleur avec des antalgiques et d’adresser le patient à un gastroentérologue ou à un chirurgien digestif.

La mise en place d’un traitement par AINS à dose modérée puis importante, reconduit sans examen clinique, a très vraisemblablement favorisé l’apparition d’une gangrène de Fournier (…)".

"(…) De plus, s’il n’y a pas d’étude épidémiologique concernant la gangrène de Fournier, les enquêtes de Pharmacovigilance retiennent "un lien très probable" entre la prescription de ces AINS et l’apparition d’une complication de ce type.

Par conséquent, nous estimons que l’absence d’examen médical répétée par les 2 praticiens et la non-demande d’un avis chirurgical voire gastroentérologique ou d’imagerie médicale est à l'origine de l’apparition secondaire d’une gangrène de Fournier".

En conclusion

"La prise en charge aléatoire (…) est à I’ origine d’une perte de chance de 80% de ne pas développer une gangrène de Fournier et ses conséquences sont à partager à part égale (50%) entre les 2 praticiens.

Aucun dysfonctionnement n’est retenu à la charge de l’établissement de santé hébergeant le service des Urgences et du CHU".

Avis de la CCI

La Commission considère que :

  • La réparation des préjudices incombe au médecin traitant à hauteur d’un tiers des dommages subis et au médecin urgentiste à hauteur de deux tiers des préjudices subis.
  • L’état de santé du patient n’est pas consolidé, il sera procédé à une nouvelle expertise après nouvelle saisine de la Commission et après production d’un certificat médical de consolidation…

Conclusions

Deux publications récentes rendent compte, avec précision, de ce qu’il faut faire et ne pas faire dans la prise en charge d’un patient comme celui de cette observation.(1) & (2)

"(…) L’abcès de la marge anale (ou abcès anorectal) - pathologie initiale du patient - est due à une accumulation de pus provoquée par des bactéries qui envahissent une (ou plusieurs) des glandes situées à la partie moyenne du canal anal sur la ligne pectiné, excrétant du mucus dans l’anus ou le rectum(…)." (1) & (2)

"(…) Il s’agit d’une pathologie fréquente. Son incidence est estimée à 2/10 000 patients/an. Certaines études épidémiologiques rapportent une légère prédominance masculine. Le pic d’incidence est situé vers l’âge de 20-40 ans mais l’abcès de la marge anale peut survenir à tout âge, chez l’enfant y compris (…)."

"Le diagnostic d’abcès de la marge anale est clinique. Il n’y a pas d’imagerie recommandée au diagnostic. Une IRM ou une échographie endo-anale peuvent être utiles dans certains cas, afin de réaliser une cartographie du ou des trajets fistuleux, notamment en cas de maladie de Crohn sous-jacente ou d’abcès récidivants. Un scanner peut être utile en urgence si l’on suspecte un stade déjà compliqué, faisant craindre l’évolution vers une gangrène de Fournier (…)".

"Le tableau clinique est marqué par une vive douleur, souvent insomniante, à type de lancement. La fièvre est rarement présente. L’examen clinique est réalisé le plus souvent en genu pectoral. À l’inspection de la marge anale, l’abcès correspond à une tuméfaction localisée, inflammatoire, douloureuse, plus ou moins volumineuse. La tuméfaction est responsable le plus souvent d’une asymétrie des deux fosses ischio-anales. On peut parfois repérer un orifice externe par lequel s’écoule du pus, de manière spontanée ou à la pression. Le toucher rectal est extrêmement douloureux, il n’est d’ailleurs pas systématique à la phase aiguë quand l’abcès est évident cliniquement. Il faut retenir que le diagnostic de l’abcès de la marge anale ne requiert pas d’examen complémentaire. Ceux-ci peuvent être utiles à un stade ultérieur, à distance de la phase aiguë inflammatoire et afin d’anticiper au mieux la prise en charge chirurgicale d’un trajet fistuleux complexe (...)".

"La prise en charge d’un abcès de la marge anale se fait en deux temps. En urgence, elle consiste en l’incision de l’abcès. Ce geste a comme double intérêt de soulager le patient mais aussi d’éviter l’évolution vers des complications septiques. Le second temps de prise en charge de l’abcès de la marge anale correspond au drainage du trajet fistuleux sous-jacent, présent dans la grande majorité des cas en cas d’abcès de la marge anale (70 à 90% selon les études) (…)".

À la phase aiguë de la prise en charge, on peut se poser la question de l’indication des antibiotiques pour traiter l’abcès de la marge anale. Dans la grande majorité des cas, après une incision satisfaisante avec évacuation de pus, il n’y a pas lieu de prescrire d’antibiotiques. Une antibiothérapie est indiquée en cas d’abcès diagnostiqué à un stade compliqué, notamment en cas de placard inflammatoire cutané étendu faisant craindre l’évolution vers une gangrène ou chez un patient immunodéprimé. Concernant le choix de molécules, on préfère en général l’amoxicilline-acide clavulanique ou les quinolones associées au métronidazole pendant 5 à 7 jours. L’analyse du pus en microbiologie n’est pas recommandée en pratique courante mais peut être utile en cas d’abcès récidivant, d’évolution atypique, ne répondant pas à une première cure d’antibiotique (…)".

"Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent favoriser l’évolution vers une gangrène de Fournier, ils sont donc à proscrire catégoriquement en cas de suppuration anale. En pratique clinique, il arrive que certains patients soient adressés en consultation de proctologie pour douleur anale secondaire à une "pathologie hémorroïdaire", sans avoir eu d’examen proctologique préalable. Des AINS sont prescrits pour soulager la "pathologie hémorroïdaire" alors que l’examen de la marge anale révèle en fait un abcès débutant, qui peut alors se compliquer rapidement vers une cellulite puis une gangrène. La suspicion de suppuration de la marge anale est une contre-indication absolue aux AINS. Autrement dit, tout patient se présentant avec une douleur de la marge anale doit être examiné, un traitement par AINS ne devant jamais être prescrit "à l’aveugle" (…)."(2)

Références

(1) Parswa Ansari - Abcès  ano-rectal - Le Manuel MSD - janvier  2025
(2) Manon  Haas - Abcès anal, fasciites et gangrène de  Fournier : conduite à tenir devant des urgences vraies – LAREVUE COLO-PROCTOLOGIE, 14 octobre 2024

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